D’où est-ce que je viens, où est-ce que je vais ?
Il peut parfois être difficile de se souvenir d’où l’on vient. Je ne parle pas ici d’un lieu, mais plutôt d’un état d’être, de ce qui anime un individu. Pour ma part, j’ai toujours su ce qui m’animait, mais savoir quoi en faire était une autre histoire.
Dans cet article, je vais te raconter comment la photographie a donné un sens à ma vie. Comment je me suis perdu en route. Et comment mes souvenirs d’enfance me ramènent sur un chemin plus en phase avec qui je suis vraiment.
J’espère que cette histoire te parlera dans les grandes lignes.
Le déclic
Il y a quelques temps, chez mes parents, je suis tombé sur une grenade dégoupillée un peu particulière.
Le levier était maintenu en place par un élastique un peu cuit par le temps. Lorsque je l’ai prise en main pour la regarder, l’élastique a lâché. La grenade m’a littéralement explosé à la figure.
Des moments de ma vie ont défilé sous mes yeux : mon enfance, mes choix, mon parcours, et où j’en étais rendu à ce moment-là.
Voilà ce que j’ai ressenti en revoyant une photo d’identité de moi enfant. Celle-ci était dans un petit cadre magnétique Mickey collé à la porte du réfrigérateur de mes parents. Cette photo n’avait rien de particulièrement touchante.
Pourtant, en regardant ses yeux, je comprenais que cet enfant avait un message à me transmettre. Ce n’est pas la photo elle-même qui était importante, mais toute la mémoire qu’elle était capable de faire remonter à la surface, tel un remous décollant les particules que le temps avait déposées au fond d’un lac. Et dans cette valse chaotique où de nombreux souvenirs me reviennent, je me laisse emporter et replonge en enfance.

Le début du réveil
Nous sommes à Tahiti dans les années 90, début 2000. Je suis dans le noir, j’ai chaud, ma respiration remplit d’humidité le petit espace dans lequel je suis confiné. Sur mon corps la sueur s’écoule comme les minutes. Happé par mes observations d’oiseaux, d’insectes, d’humains s’afférant à leurs tâches, le temps n’a plus d’importance.
Sur le deck de la piscine, mon affût en carton surmonté de son périscope se transforme en panier vapeur. Le soleil du matin polynésien réchauffe déjà bien tout ce qu’il touche. Lorsque j’en sors cuit à point, je suis saisit par la fraîcheur extérieure, l’air frais que je respire et la sensation de ma peau qui se contracte.
Je me vois m’émerveiller, contempler, observer pendant des heures tout un tas de choses: du pollen de fleurs au microscope, des insectes au compte-fil, les cratères de la lune au télescope. Par-dessus ça, je vois et je sens des détails insignifiants que l’on ne remarque qu’en pleine présence.
La texture granuleuse d’une table en plastique sous mes doigts d’enfant. L’odeur de l’herbe coupée à ramasser entre cousins. Les lumières du couloir de la clinique à la naissance de ma petite sœur. La texture des joues toute rouge de mon petit frère dans le froid hivernal français. Ici, j’abrège, mais la quantité de souvenirs à cette période de ma vie est absolument colossale. Les images, les sons et les sensations s’enchaînent.
« Comment puis-je ressentir tout ça, plus de 25 ans après, comme si j’y étais encore ? »
Tellement de souvenirs me reviennent. Et en même temps je regarde cette photo, et je me demande si j’ai fait tout ce qu’il fallait pour rendre cet enfant heureux.
« Est-ce que je l’ai oublié au fil des ans ? Ai-je été suffisamment à son écoute ces 25 dernières années ? Avait-il un rêve qu’il souhaitait réaliser ? Lui ai-je fait une promesse difficile à tenir ? »




La valse chaotique des souvenirs s’apaise lentement. Le calme prend place. Je me souviens de qui je suis vraiment, et que tout ce que je fais, est l’extension de quelque chose au fond de mon regard d’enfant. Cet événement a apporté son lot de questionnements, de réponses et de prises de conscience profondes au fil des semaines suivantes. Étrangement cette photo n’a réveillé de souvenir précis que jusqu’à la fin de l’enfance. À partir de la préadolescence, l’ensemble de mes souvenirs est moins détaillé, moins complet. Cela coïncide avec une période de ma vie plus troublée. Marquée notamment par un déracinement suite à une installation difficile en France métropolitaine. Des problèmes familiaux, et des difficultés à m’intégrer dans ma classe de CM2.
« Les premiers tracas de la vie m’auraient-ils fait perdre ma capacité à contempler ? A être pleinement présent, et à enregistrer toute ces informations ? »


Cet enfant m’a apporté une partie du puzzle, et le temps qui passe me permet d’assembler les pièces manquantes. C’est donc à moi, l’adulte d’aujourd’hui, de poursuivre et de compléter cette histoire, ce puzzle, pour être enfin capable de le voir dans sa totalité. Mais avant d’arriver à cet état de compréhension et de vision élargie, laisse-moi te raconter la partie de ma vie où la photographie fait réellement son entrée.
De l’enfant à l’adulte
Mon intérêt pour l’observation de la nature et du vivant reste présent. En effet, au Collège, mes meilleures notes sont en Science de la Vie et de la Terre. Je poursuis ainsi jusqu’au Lycée. Je prends des choix en suivant des conseils d’orientation, j’essaie de m’y retrouver dans la multitude de chemins possibles. Pendant cette même période, je découvre le bridge d’un camarade québécois pendant une colonie de vacances scientifique à Moorea. Je décide de m’acheter un appareil similaire. Plus tard j’upgrade avec un DSLR entrée de gamme, puis semi-pro pendant mon année de Licence en Biologie à Lyon.
Mon objectif, du moins celui que je pensais être le mien, était de me spécialiser en Biologie Marine. L’idée étant de revenir sur mon île natale et d’œuvrer pour la préservation de l’écosystème marin. Malheureusement, la filière ne me faisait pas vibrer et mes conditions de vie à Lyon ont été une grande déception. Je ne m’y sentais pas à ma place, et je n’ai pas pu me forcer à poursuivre dans cette voie.
Pour survivre à cette période et éviter la dépression, je sortais autant que possible pour photographier tout ce que je pouvais.




La photographie était une thérapie, une méditation, un prétexte pour être le plus souvent à l’extérieur ou dans la nature. Elle me faisait du bien et m’obligeait à être dans l’instant présent. Elle me permettait de me concentrer sur ce que je pouvais trouver de beau. La photographie donnait un nouveau sens à ma vie en réunissant tout ce qui m’avait toujours animé.
A cette époque je n’envisageais pas la photo en tant que profession, ça ne m’était jamais venue à l’idée. C’est au moment où j’ai quitté l’université que j’ai commencé à considérer la photographie comme un métier. Le plus drôle dans tout ça, c’est que j’ai toujours vu mon père avec un appareil photo à la main. Ça faisait partie de mon quotidien, et pourtant je n’y avais jamais pensé de cette manière.
Anesthésié par la Vie
À mon retour à Tahiti, j’ai déjà de bonnes bases en photo. Je décide de me lancer, je continue de me former en autodidacte et je décroche des contrats en parallèle. Les débuts sont stimulants, il y a toujours de nouvelles choses à apprendre, à expérimenter, la marge de progression est grande. Certains projets photos qui me tiennent à cœur nécessitent des équipements adaptés et des moyens techniques que je n’ai pas, je mets donc ces projets en attente, quelque part dans un carnet de notes et dans un coin de ma tête.
Mais la réalité du terrain me rattrape, il faut bien gagner sa croûte à un moment donné, qui plus est sur un territoire de moins de 300 000 habitants où les opportunités ne sont pas florissantes. Certains contrats me parlent et me font vibrer, mais ils ne sont pas suffisants, car peu nombreux, je ne peux donc pas refuser les contrats qui ne me ressemblent pas. Malheureusement, le temps passe et les choix que l’on fait sont comme les aiguillages des chemins de fer.
Si ces choix, mis bout à bout, sont un peu en décalage avec votre itinéraire initial, vous êtes sûr que les chemins que vous prendrez vous ressembleront de moins en moins. En acceptant ces choix, ces petits changements d’itinéraire, et en me disant « j’ai pas trop envie, mais ça sera bien payé », j’ai accepté d’emprunter des chemins qui ne m’ont pas fait vibrer, altérant à la longue l’élastique de ma grenade dégoupillée. Je me suis laissé anesthésier par ce côté de la Vie, jusqu’à en oublier mon regard d’enfant.
Le réveil
Le moment du bilan est enfin là. J’ai beaucoup procrastiné avant de pouvoir poser les mots. Cet article m’a pris un temps fou à écrire, et au fur et à mesure qu’il prenait forme, je comprenais d’autres choses, ajoutant de la complexité à cette tâche déjà peu évidente. Une véritable épopée de la conscience que de tenter de retranscrire sous forme de phrases un événement aussi personnel que celui-ci. J’ai toujours été conscient de ce qui me faisait vibrer depuis mon enfance, mais la vie d’adulte nous fait parfois mettre de côté ces choses-là.
Mais voilà, l’élastique a lâché, cet enfant a débarqué et a mis un grand coup de périscope dans l’anesthésie générale de ma Vie. Tous ces souvenirs si complets en sons, en images, en sensations, si intensément enregistrés au travers de ce regard d’enfant, me permettent de comprendre la puissance de ce que l’on peut appeler « vivre en conscience » lorsque tous les sens sont connectés ensemble dans l’instant présent. Voilà comment plus de 25 ans après, je peux ressentir tout ça, comme si c’était maintenant.
Je comprends que je n’ai pas totalement oublié cet enfant au fil des ans, il est toujours là au fond de moi, et lorsque je lui laisse de l’espace pour s’exprimer, c’est lui qui me permet encore de contempler, de m’émerveiller, de ressentir. Là où j’ai commis une erreur, c’est certainement dans l’attention que je lui ai portée ces 25 dernières années, en remettant à plus tard ce qui venait du fond de mes tripes : je lui ai retiré son espace d’expression.
Pendant ce remue-ménage de souvenirs et durant les semaines suivantes, je me suis rendu compte que cet enfant n’avait pas de rêve qu’il souhaitait réaliser, la question ne se posait même pas. Il était tout simplement là, présent dans tout ce qu’il faisait. Cela m’a également amené à comprendre que la voie de la Science n’était pas faite pour moi, que j’ai été placé sur cette Terre pour m’émerveiller, contempler, comme un poète, un peintre ou un photographe, servant à l’Univers de regard sur l’expression de son existence.




Voilà d’où je viens !
Où est-ce que je vais ?
Les directions conduisant à des voies sans issues ont été empruntées sans cet enfant, mais servent finalement à mieux se connaître. Peut-être est-il maintenant temps que je lui prenne la main et que, ensemble, nous décidions d’un nouvel itinéraire où l’adulte que je suis puisse lui donner l’espace dont il a besoin pour vivre pleinement.
L’avenir réserve bien des surprises, et lorsque l’adulte peut appréhender les obstacles à venir, l’enfant a juste hâte de découvrir le cadeau et de partager ses défis et ses aventures.
Et toi…
As-tu oublié l’enfant que tu étais au fil des ans ? As-tu été suffisamment à son écoute ces dernières années ? Avait-il un rêve qu’il souhaitait réaliser ? Lui as-tu fait une promesse difficile à tenir ? D’où viens-tu, et où vas-tu ? N’hésite pas à répondre à ces questions en commentaire ci-dessous.
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
Manu’a – Évasion et Photo